Astorga-Rabanal del Camino
20 kilomètres
Enfin des montagnes, des montées, des parcours sinueux ! je suis sur le point de sortir de la Mesata, cette plaine aux horizons sans fin.
Vers la fin de la journée, je fais connaissance d’une Espagnole qui parle un excellent anglais. C’est la première fois que j’ai une réelle conversation avec un Espagnol local. Elle a pris le train à Noia, un village de pêcheurs non loin de Compostelle, pour se rendre à Léon. Elle profite d’un congé pour retourner chez elle à pied par le sentier de la camino.
Nous marchons ensemble les derniers kilomètres avant d’arriver à Rabanal. Elle me parle de la difficulté qu’ont les jeunes Espagnols à s’acheter une maison. Depuis que l’Espagne s’est jointe à l’Union européenne, le coût de la vie a monté en flèche. En grande partie, me dit-elle, parce que les économies provenant du marché noir et faites en ancienne monnaie ( pesetas ) ont dû être liquidé avant que l’euro face office de nouvelle monnaie. Ce qui a augmenté la demande pour les produits de luxe et conséquemment haussé le prix des autos et des maisons.
Nous discutons également du conflit qu’il y a entre nos deux pays sur la zone de pêche. Selon le gouvernement canadien, les pêcheurs espagnols s’aventurent un peu trop près de leur zone de pêche. Cet avis n’est évidemment pas partagé par mon amie.
Arrivés à Rabanal, nous allons prendre une bière dans un bar. À la télévision, un reportage montre des images de pêcheurs lançant un filet à la mer. Je lui dis : « regarde ! des Espagnols en train de pêcher du poisson canadien ! ». Elle éclate de rire et m’offre une bière afin de préserver les bonnes relations entre nos deux pays.
À l’auberge de Rabanal, un tenancier écossais portant fièrement son kilt vient nous accueillir. Un homme rempli de joie de vivre nous serre la main et nous explique les règles de la maison. Son accueil est remarquablement chaleureux. Les bénévoles de cette auberge éprouvent un réel plaisir à prendre soin de leurs invités. J’écris dans le livre d’Or : « J’ai été reçu comme un prince qui revient chez lui après un long voyage, bénie soit votre auberge, vous êtes le meilleur. »
En soirée, je lis les mémoires d’un pèlerin. Je note une phrase qu’il a écrite dans son journal : « la seule expérience qui puisse donner un fondement indestructible à l’homme, c’est d’être seul pour découvrir ce qui le porte lorsqu’il n’est plus en état de se porter lui-même. »
Je revois mon ami Claude. Nous allons prendre un verre de vin. Il me parle d’une période de son enfance qu’il l’a particulièrement marqué.
À l’époque de la seconde Guerre mondiale, lorsque les Allemands envahirent sa petite ville située en Alsace, son père était l’un des rares mécaniciens capables de réparer des tanks. L’armée allemande, qui avait grandement besoin de ses services, l'obligea à travailler pour elle. Son père fut durement jugé par les citoyens qui ne lui ont jamais pardonné d'avoir collaborer avec les allemands.
Il devait être difficile de refuser de coopérer avec les Allemands, surtout si vous aviez des habilités dont ils avaient besoin. Les Allemands auraient-ils forcé un libraire français à l’effort de guerre allemand ? Il est facile de juger, lorsque nous n’avons pas de famille à protéger et qu’on n’est pas soumis à la pression des officiers allemands. J’ai de la sympathie pour Claude. Vivre dans un monde où ton père, le héros de ton enfance, est jugé et condamné par la collectivité, cela doit être difficile à porter.
Nous discutons de la guerre, je demande à Claude, comment des gens aussi intelligents et bons que les Allemands peuvent-ils en arriver à permettre qu’un holocauste puisse se faire dans leur pays.
Après la guerre 14-18, l’économie de l’Allemagne n’allait pas bien. La plupart des Allemands croulaient sous les dettes et faisaient faillites les uns après les autres. Les fermiers allemands, par exemple, après plusieurs mauvaise récoltes se firent saisir leurs terres par des banquiers juifs. La perte de leur patrimoine et de leur niveau de vie engendra une haine profonde et sournoise du peuple juif, car les Allemands tenaient les Juifs responsables de leurs malheurs. Adolphe Hitler exploita cette haine avec un discours antisémite, en promettant à la nation un avenir meilleur.
La guerre se prépare longtemps à l'avance. Elle se construit jour après jour, un peu comme on cultive son jardin. D'abord la graine de la haine est semée dans le cœur des hommes, puis après un certain temps , lorsque la haine est suffisamment répandue et développée, un jardinier ( Hitler dans le cas de l’Allemagne) vient la récolter. Et c’est grâce à sa récolte qu’il réalise sa guerre et son génocide.