dimanche, janvier 01, 2006

Le 19 avril Portomarin. Adolfo le bienheureux

Sarria - Portomarin
23 km à 90 km de Compostelle

Il y a des jours où la température ne cesse de changer. Il faut constamment s'adapter à l'alternance du soleil et de la pluie. J'attache donc mon poncho à ma ceinture pour ne pas être obligé d'aller le chercher dans mon sac à dos à chaque nouvelle averse. Je me suis tellement habitué à ces variations climatiques que j'arrive à mettre mon poncho sans m’arrêter de marcher.

compostelle
J'aperçois Adolfo le bienheureux en train d'enfiler son poncho. C'est un Espagnol dans la fin vingtaine qui dégage beaucoup de sérénité. Il prend totalement le temps de vivre. Je le vois souvent arrêter en bordure du chemin en train d'admirer le paysage ou de faire une sieste. À chaque fois, je lui envoie la main en lui disant : « ola ! ». Il me répond toujours avec un sourire.

Lorsque je le croise, il me salue en anglais. Je suis surpris, je pensais qu'il parlait seulement espagnol. Nous décidons de marcher ensemble.

Les nuages dominent le paysage, on peut apercevoir dans le ciel de très rares éclaircies. Il a beaucoup plu ces derniers jours et Adolfo rêve au soleil.

-Le soleil c'est la vie, me dit-il. Le soleil, ça me donne de la vitalité, j'adore sentir sa chaleur sur ma peau.

Je lui réponds que j'aime les journées nuageuses pour la douceur et la fraîcheur qu'elle me donne, que l'eau aussi c'est la vie et que l'eau est dans les nuages.

Il ne peut s'empêcher d'éclater de rire. L'idée que quelqu'un puisse aimer les nuages et la pluie lui paraît invraisemblable. Il me taquine un bon coup et rigole pendant plusieurs minutes. Cela me fait rire de bon cœur, après tout, Adolfo est un Espagnol.

Des rayons de soleil se faufilent à travers les nuages. Cette éclaircie doit être à quelques kilomètres de nous. Il me dit : « si je pouvais, je courrais là-bas, juste pour avoir un peu de soleil. » Je lui dis d'attendre qu'il n'a pas besoin de courir, ces rayons de soleil viendront bien à nous. Comme de fait, l'éclaircie arrive. Pendant quelques minutes, la lumière et la chaleur du soleil nous atteignent. On arrête de marcher et nous laissons la chaleur du soleil réchauffer notre visage pendant quelques minutes, jusqu'à ce que les nuages reviennent cacher notre soleil.

Il arrive parfois que le bonheur vienne dans notre vie complètement gratuitement. C'est un cadeau, et tout ce que nous avons à faire est de le saisir et de le vivre.

compostelle
On arrive à Portomarin. Adolfo continue la marche vers la prochaine auberge. Quant à moi, je décide d'arrêter ; je suis très en avance sur mon horaire et il est inutile pour moi de sauter les étapes.

J'arrive à l'auberge de Portomarin. Ce n'est pas un palais, il n'y a pas d'eau chaude, pas de cuisinette, pas de chauffage et ce n'est pas très propre. Je ne prends pas de douche, car je ne suis pas capable de mettre ma tête sous de l'eau glaciale.

Il pleut, il n'y a pas grand-chose à faire et je ne peux pas me laver, bref, je ne suis pas de bonne humeur. Je m'étends sur mon lit, je rêve, je m'imagine en train de prendre une douche chaude à la maison. Ensuite, je me fais un gros steak sur le BBQ et je prends une bonne bouteille de vin avec Suzie. J'attends que le sommeil m'emporte.

Impossible de dormir, il y a trois mégas ronfleurs dans le dortoir. D'habitude, ce n'est pas un problème parce que je me mets toujours des bouchons dans les oreilles, mais cette nuit, j'ai oublié de les mettre. Il fait très noir et je n'arrive pas à les trouver. Ils ronflent si fort qu'aucune des 40 personnes couchées dans le dortoir n’arrive à dormir.

Une femme tente quelque chose. Elle se promène près des lits des ronfleurs en faisant des drôles de bruits avec sa bouche comme si elle appelait son cheval. Rien à faire. Un autre, donne des coups pieds sur la base de leurs lits. Inutile, les ¨héros¨ échouent tous les uns après les autres…

Je suis complètement découragé. Puis, par miracle, j'ai une idée. Je prends une page de mon journal personnel et je la mets dans ma bouche. Je la mâche pour en faire deux petites boules de papier humide que je mets dans chacune de mes oreilles. ÇA MARCHE, JE N'ENTENDS PLUS RIEN ! Fantastique ! bonne nuit tout le monde…

C'est toujours amusant de regarder des mégas ronfleurs se réveiller. Après une bonne nuit de sommeil, ils se lèvent, s'étirent et sont prêts à commencer une nouvelle journée. Ensuite, ils confrontent les regards des autres qui ont les yeux rougis de ne pas avoir dormi. Et là, ils se sentent mal.

Lorsque je me dirige vers la sortie, j'en profite pour faire un clin d'œil amical à l'un des ronfleurs. Je me dis que c'est vraiment bien le papier journal !