Première journée de marche. 28km jusqu’à Roncevaux
Je me lève tôt. Il est 6 heures. J’essaie de placer mes affaires dans mon sac à dos sans faire de bruit. Ce n’est pas facile, il fait noir et il ne faut rien oublier. L’Australienne vient me saluer et elle me souhaite bonne chance. C’est la dernière fois que je lui parle. Il y aura comme ça beaucoup de gens qu’on ne voit qu’une fois et qu’on ne reverra plus jamais par la suite.
L’aubergiste, pour des raisons de sécurité, m’interdit de prendre le sentier de la montagne. Il y a trop de neige, je risque de me perdre. Je dois donc passer par la route.
Un bénévole de l’auberge, un type de 60 ans, veut faire avec moi le premier kilomètre. Il s’assure ainsi que je prenne bien le bon chemin, celui qui passe par la route. Il marche à toute vitesse en me parlant de la signalisation des sentiers du Camino.
-Tu dois suivre les flèches jaunes. Elles sont omniprésentes sur le chemin. Elles peuvent se trouver n'importe où ; sur un arbre, sur une pierre, peinturées sur la route. C’est ton principale guide. Tu dois toujours garder un œil dessus.
J’ai beaucoup de misère à le suivre ! Au bout de quelques kilomètres, il me laisse seul et me dit au revoir ! J’ai chaud, je m’arrête et j’en profite pour enlever un gilet !
Il y a quelque chose de spécial dans ces sentiers. Je m’y sens bien tout de suite. Je suis disponible à tout ce qui m’entoure et j’ai l’impression d’être proche de la nature.
Je remarque un oiseau qui chante dans un arbre, c’est une mésange. Elle me rappelle ma tante May , une religieuse qui adorait peindre et observer les oiseaux. Lors de notre visite du temps des fêtes,elle avait donné à Félix, mon petit garçon, une mésange en plastique qui se met à chanter lorsqu’on l’agite. On ne la savait pas, mais cette visite a été la dernière que nous lui avons faite. Elle est morte peu de temps après.
Je comprends en observant la mésange chantée pourquoi elle aimait tant les oiseaux.
Les chiens en France sont voraces. Ils n’aiment pas les étrangers. Tous les chiens que je rencontre sur mon chemin veulent me bouffer. Ils me mettent en garde de ne pas rester trop longtemps sur leur territoire. Je marche plus vite, mais je ne cours pas. J’essaie de ne pas leur tourner le dos, la plupart du temps, ça suffit pour eux. Tu quittes mon territoire, il n’y a pas de problème.
Mais il y a toujours des exceptions, par exemple, ces deux petits chiens, qui n’ont pas suscité assez de méfiance de ma part. Lorsqu’ils m’ont vu, ils ont chargé à fond de train vers moi, puis l’un d’eux s’est approché de ma cheville et a déposé ses crocs contre mon talon. Je sentais ses dents exercer une pression. J’étais sûr qu’il allait me mordre ! Et puis je ne sais pourquoi, il a ouvert sa gueule et il s’est enfui avec l’autre chien vers sa demeure. S’il m’avait mordu, c’en était fait de mon voyage.
J’attaque la montée par un sentier qui quitte la route. Au début, il y a un peu de neige, Il est facile de marcher dans cette neige fine. Je me dis que les Européens en font toute une histoire, la neige y a rien là ! Cependant, après quelques heures de montée, je découvre que l’épaisseur de la neige est proportionnelle à l’altitude où tu te trouves. Autrement dit, plus tu montes, plus il y a de la neige…
Je monte jusqu’à ce que je me retrouve à marcher dans au moins deux pieds de neige, je ne peux faire plus de sept pas sans m’arrêter, mon cœur pompe au maximum et je dois lui donner le temps de récupérer. Je tiens ce rythme pendant deux heures : je marche sept pas, j’arrête pour prendre mon souffle puis je repars pour un autre sept pas. Je n’ai pas le choix, il est trop tard pour retourner sur mes pas. Je compte sur mon intuition qui me dit que le sommet n’est pas loin. À la fin, j’entends des voitures passées, je sais que la route est tout près. Puis je vois des pèlerins qui marchent sur le chemin. Eurêka, je suis sauvé !!!
.
J’y suis arrivé avec de la patience. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas patient, alors, j’ai appris ce qu’on pouvait faire avec celle-ci !
Après une longue descente, j’arrive à Roncevaux, j’entre dans une brasserie. Je suis complètement exténué. Je m’assois au bar, je cale une bière comme si c’était un verre d’eau, puis une autre, sans parler, sans rien dire. À ma gauche, il y a un Allemand qui me regarde en souriant , il attend que j’aie fini la deuxième puis il dit en anglais :
-Tough day hein ?
Nous discutons, je lui raconte mon histoire. J'apprends qu'il est parti de Berlin et se dirige vers Compostelle, une marche qui totalisera 2500 km lorsqu’il arrivera !
Plus tard, je vais à la messe où 5 prêtres ont dit la messe pour 6 personnes. Ils nous ont souhaité bon courage et bonne route ! Il y a des Français, un Suisse, un Espagnol et deux Allemandes.
Je couche dans un monastère, qui a un plafond de 50 pieds de hauteur et pas de fenêtre. Le tenancier s’appelle Pablo, il parle français, espagnol et hollandais. Je trouve étrange qu’il parle le hollandais et pas l’anglais, Je lui demande :
¨Pourquoi hollandais ?¨
— Parce que ma femme est hollandaise ! me répond-il !
— Ah, OK, c’est une bonne raison…